En chantant comme une casse-pierres:
“Un gars vient à la rivière…”
Alors, il monte au perron,
Saisit par sa main le rond,
Frappe si fort que tout le monde
Ait peur que le toit ne tombe;
Pour faire du chahut, il crie,
Comme si c’est une incendie.
Les frères sautent vite de leurs couches,
Bègues de peur de quelque louche:
“Qui frappe fort au logis clos?” –
“Mais c’est moi, Ivan l’Idiot!”
Les frères ouvrent vite la porte,
Il entre et se tient de sorte,
Qu’ils se mettent à le gronder:
Comment il ose effrayer!
Ivan, sans qu’ils réussissent,
En chaussures et en pelisse,
Se dirige vers le four,
De là, il tient son discours,
Concernant son aventure,
Etonnant des oreilles pures:
“Eh bien, je n’ai pas dormi,
Comptant les étoiles la nuit;
La lune a pu aussi luire, –
Je n’ai pas vu, – rien à dire.
Soudain, un diable est venu,
Tout barbu et moustachu;
Il a la gueule comme une chatte
Et les yeux comme deux grandes jattes!
Et il s’est mis à sauter,
A battre par la queue le blé.
Je ne fais point de blagues sottes,
Alors, sur son cou, je saute.
Il m’a tant traîné, traîné,
Même, il m’a failli casser
La tête, pour que je le laisse,
Mais je l’ai tenu en presses.
Il battait fort, mon malin,
Et il m’a prié enfin:
“Ne fais pas me détruire:
Toute l’année, pour te suffire,
Je vais me conduire bien –
Laisser en paix des chrétiens”.
Je ne suis pas trop aimable,
Mais j’ai cru mon petit diable”.
En bâillant, il le dit, or,
Après une s’conde, il s’endort.
Quoiqu’ils soient fâchés, les frères
Rient trop, malgré leur colère.
Ils se tiennent aussi les flancs,
Riant de cette histoire longtemps.
Leur père ne se tient pas même
De rire aux larmes de ce thème,
Bien que ça soit mal aux vieux:
De ne pas rire tant, – c’est mieux.
Peu de temps ou trop ensuite
Fit de cette nuit la fuite, –
Moi, je ne l’entendis pas,
Car personne ne m’en parla.
Mais ce n’est pas une affaire
Pour nous, parce qu’il nous faut faire
Notre bon conte, sans compter
Toutes les années passées.
Donc (à une grande fête),
Dans la grange, avec la tête
Qui lui tourne, pleine d’hydromel,
Se traîna le frère Daniel.
Il voit deux chevaux superbes
A crinière d’or, fine comme l’herbe,
Et un p’tit cheval-jouet
Haut de cinq pouces, comme on sait:
Sur le dos, il a deux bosses,
Des oreilles d’âne lui haussent.
“Tiens! Pour ça, comme j’ai compris,
Notre Idiot y a dormi!” –
Se dit-il, et la merveille,
De l’ivresse, le réveille.
Daniel court à la maison,
Dit à son frère d’un bas ton:
“Gabriel, écoute, mon frère,
Quels chevaux à belle crinière
Appartiennent à notre Idiot:
Tu n’as pas ouï dire un mot”.
Donc, après, les deux grands frères,
Aussi vite qu’ils puissent le faire,
Sur l’ortie, courent, sans dévier,
De toutes leurs forces, à nus-pieds.
Ils trébuchent trois fois en route,
Ont des yeux pochés, sans doute,
En frottant ici et là,
Ils entrent dans la grange – voilà:
Deux chevaux s’ébrouent aux frères,
Leurs yeux lancent une belle lumière
De rubis; et leurs queues d’or
Frisées pendent au sol encore.